dimanche 15 mars 2015

Pour cultiver la compassion... avec le prêtre Bernard Ugeux

La compassion est-elle une réponse à la violence ? L'expérience de Bernard Ugeux, prêtre, père blanc, anthropologue et théologien en mission en République démocratique du Congo (il vient de publier la Compassion, j'y crois, chez Bayard), engagé auprès des victimes de la guerre, nous éclaire.


Se laisser toucher, mais travailler sur ses émotions
« Je distingue trois façons de réagir. La contagion émotionnelle, ce sont les larmes qui nous viennent spontanément aux yeux face à quelqu'un qui pleure. Je pleure parce que l'autre pleure. Dans l'empathie, il y a déjà une première distance : je suis bien conscient que si je pleure, ce n'est pas sur moi, mais c'est parce que l'autre souffre. Dans la compassion, je vais plus loin : je ne me contente pas de plaindre la personne qui souffre, de m'apitoyer ou d'imaginer ce qu'elle a pu vivre, mais je suis dans un mouvement intérieur de tendresse et de bonté, un élan gratuit qui va vers l'autre et me fait agir. »

Rester dans une posture d'écoute aimante
« Au début, j'étais horrifié et déprimé devant ce que j'entendais, puis j'ai compris que je devais être capable de résonner à la souffrance de l'autre tout en gardant une distance. J'ai franchi une étape en acceptant de ne pas être le sauveur. Aujourd'hui, je comprends que celui qui souffre n'a pas tant besoin qu'on s'apitoie sur son sort ni même qu'on cherche une solution. La posture la plus juste, c'est une écoute aimante, qui montre à l'autre qu'il n'est pas souillé, pas coupable en dépit de ce qu'il ou elle a vécu. Un regard aimant qui libère de la honte, voilà l'attitude qui me paraît la plus compassionnelle. »

Croire que l'Esprit est à l'oeuvre aussi en l'autre
« Dans ma démarche chrétienne, je sais que l'Esprit est à l'oeuvre en moi et aussi dans la personne que je rencontre. Le soir, je dépose les choses les plus lourdes "dans le coeur de Dieu". Cela m'apaise. Ce n'est pas moi qui vais résoudre tous les problèmes. J'ai par contre à trouver l'attitude juste et à demander la lumière pour y arriver. À croire aussi que mon interlocuteur va recevoir une force de son côté. Chrétien ou non, c'est la gratuité qui est commune. Vouloir le bien de l'autre pour l'autre... simplement. »


Garder sa capacité d'indignation
« Depuis mon enfance, j'ai toujours eu ce sentiment d'injustice devant la réalité du tiers-monde. Je pensais : j'ai tout et ils n'ont rien, il faut partager. Aujourd'hui, lorsque je viens en Europe, j'essaye d'informer auprès des médias, de sensibiliser à ces guerres oubliées et à leurs vraies causes, en évoquant entre autres ces multinationales qui veulent s'approprier les terres et les richesses minières et utilisent des milices armées pour perpétrer la terreur et les assassinats. On ne peut en rester à l'empathie. La véritable compassion doit déboucher sur l'action : consoler et dénoncer. Pas seulement donner de l'argent pour soigner les victimes, mais agir pour qu'il n'y en ait plus, plus aucune jeune fille qui se fasse enlever en forêt comme esclave sexuelle... Tout petit, on peut déjà apprendre à respecter l'autre. En commençant par prêter son jouet à un autre, c'est le b.a.-ba de la compassion : partager ce à quoi l'on tient. »

Agir au-delà des règles
« Le Jésus ému aux entrailles devant la veuve qui pleure, ou pris aux tripes devant la foule affamée, n'a pas seulement pitié, il agit. Il s'adresse aux pharisiens et aux scribes, à tous les docteurs de la loi, en dénonçant leur attitude insupportable, le poids qu'ils font peser sur les gens. Il rompt les règles de la pureté, touche la femme qui perd son sang, mais en plus il dénonce ceux qui, en imposant ces règles, excluent les pauvres, les femmes, les lépreux. Il est prophétique dans la compassion comme dans la dénonciation. »